Source : Fondation Pierre Besnard
Impressions sur l’ouverture du jugement des répresseurs des camps de concentration d’Atlético, Banco et Olimpo, aux côtés de María Esther Tello, mère de Pablo Daniel Tello et de Rafael Arnaldo Tello (le troisième fils Marcel Tello a été disparu à Córdoba quelques jours avant le putsch militaire)
vendredi 27 novembre 2009.
Contexte juridique
Les lois du premier président de la période démocratique actuelle, Raúl Alfonsín, de point final et d’obéissance due qui protégeaient les criminels de la dictature militaire ont été annulées par le Congrès en septembre 2003, déclarées inconstitutionnels par la Cour suprême en juin 2005.
Mais sur le total des responsables des disparitions dans environ 340 centres clandestins (depuis les membres des “groupes de tâche” pour arrêter et séquestrer jusqu’aux personnes chargées de l’entretien des « picanas » [gégène en Algérie ou générateur électrique variable pour transmettre des décharges sur les corps] et évacueurs de cadavres il y en aurait environ 2.500) quelques centaines sont mis en accusation.
Le juge Félix Crous, chef de l’Unité d’assistance aux jugements sur le terrorisme d’État de la “Procuración”, à La Plata capitale de la province de Buenos Aires, a déclaré : Je pose la question : pour quelle raison les tribunaux oraux de La Plata font des jugements et pas ceux de la capitale ? [...] le droit est de façon impressionnante fertile pour garantir quelque chose lorsqu’il s’agit d’un secteur social et stérile pour entraîner des résultats quand cela concerne un autre secteur social. Les Forces armées font toujours partie des structures de pouvoir de ce pays. Et le pouvoir judiciaire également. [...] Le jour où nous aurons condamné un marin, ou un membre d’un autre corps que l’infanterie, Nous allons sans doute avancer. (Página 12, 01.07.07)
Son collègue le juge fédéral de La Plata Carlos Rozanski a affirmé “Nous ne pouvons pas passer 40 ou 50 ans à faire ces jugements”, (interview avec le présentateur et annaliste politique Eduardo Aliverti). Il a élaboré un plan présenté dans plusieurs ministères : La décision politique est que si allons utiliser le projet il faut qu’il y ait les moyens de le mener à bien, car cela signifie des gens qui travaillent, des lieux de travail, des ordinateurs, tout ce qui est nécessaire pour que cela se fasse plus ou moins bien [...] Si les ressources sont là, je dirais qu’en quatre ans tous les jugements doivent être finis. (Página 12, 05.03.08.)
Un exemple de la situation complexe évoquée par le juge Félix Crous est le cas du général Luciano Benjamín Menéndez, responsable du III corps d’armée. En juillet 2008, une sentence du Tribunal oral fédéral N° 1 de Córdoba l’a condamné à perpétuité en prison de droit commun, mais il y a eu une série d’allées et de venues entre le retour à l’arrestation domiciliaire (juin 2009) et prison de droit commun. Et la situation n’a pas changé avec une autre condamnation à perpétuité en août 2008 par un tribunal de Tucumán.
Bien avant il y eut une initiative incroyable : le 21 avril 1998 la Chambre fédérale de La Plata a décidé d’ouvrir le Jugement pour la Vérité, un procès judiciaire sans conséquences pénales. “L’idée était de créer un forum public pour l’opinion à La Plata qui serve à secouer, réactualiser ce terrible passé de la ville et qui puisse permettre alors de repousser la peur demeurée incrustée à l’époque de la dictature, qui ici, me semble-t’il, était celle de Camps [un génocidaire]”, soutient le juge de la Chambre fédéral Leopoldo Schiffrin. Ce travail a été repris par le juge d’instruction Félix Crous, envoyé à La Plata par la « Procuración » générale de la nation en 2002, spécialement pour enquêter sur le terrorisme d’État. Le juge d’instruction prit les dénonciations faites pour le Jugement pour la Vérité, et les inscrivit dans les tribunaux pénaux. [La Pulseada, N°37, mars 2008).
Leopoldo Schiffrin, affirme que Un cas isolé de torture ou un cas isolé de disparition forcé de personne même dans le meilleur régime d’État de droit sont des délits de lèse humanité s’ils sont commis dans le cadre de l’appareil étatique ou quasi étatique. C’est pour cette raison que je ne partage pas la jurisprudence de la Cour dans le cas René Jesús Derecho, en date du 11 juillet 2007, qui a décidé qu’un seul cas de torture commise par un membre de la police fédérale sur une personne détenue dans un local de ce corps ne constitue pas un crime de lèse humanité. (Página 12, 13.10.08)
Daniel Rafecas, juge fédéral en charge du tribunal national des affaires criminelles et correctionnel fédéral N° 3, est celui qui a donné l’impulsion au lancement des jugements contre des responsables du I corps d’armée et surtout du Tribunal oral fédéral 2 (TOF2) qui autorise une certaine visibilité aux citoyens. Tout à l’opposé du TOF5 qui empêche tout geste et signe politisé.
Ouverture
L’ambassadeur de France et son premier secrétaire sont venues à l’ouverture du jugement (grâce au travail infatigable de l’avocat des Français disparus Horacio Méndez Carreras) manifester leur soutien à María Esther Tello, mère de deux franco-argentins disparus par une partie des accusés. Ce fut très important, parce qu’il y a eu un dialogue chaleureux et l’affirmation que c’est là un pas décisif pour la justice argentine et française.
C’est une attitude de respect de la personnalité de ces deux disparus franco-argentins indépendamment de leur engagement dans Resistencia Libertaria ; ce qu’aucun organisme proche ne reconnaît en France et uniquement quelques individualités en Argentine, comme si le silence et la honte de l’époque de la dictature militaire prédominaient encore chez les libertaires du Rio de La Plata.
C’est également un avertissement clair aux juges qu’il existe un suivi international, ce qui n’est apparu pour aucun autre jugement précédent. Il est ainsi probable que le geste soit à replacer dans le système complexe d’échanges avec la France du gouvernement argentin (l’ambassadeur n’a été accompagné par aucun membre des Affaires étrangères ou de son département de Droits humains, ni non plus du ministère de la Justice et des droits de l’homme de la Nation).
Le calme apparent des deux Mères de la place de Mai, la peine retenue et simultanément la stupeur d’être arrivées à cette étape après 33 ans de lutte, d’attente, d’espoir, de doute et de désespoir, qui ont été présentes de 13 h 30 à 19 h, Elia Espen et María Esther Tello contrastait avec des périodes d’explosions de douleur et de rage de certains jeunes fils de disparus, membres ou pas de HIJOS [enfants pour l’identification et la justice, contre l’oubli]. D’autres Mères étaient là au début.
La précision de l’accusation a été remarquable sur les multiples rôles des imputés dans la séquestration, les interrogatoires, les tortures ou la surveillance des prisonniers. L’accusation s’appuie sur l’occultation d’identité des génocidaires, la privation illégale de liberté, les tortures appliquées et la participation à un système de répression planifiée.
Paradoxe de la situation : le soutien des membres des familles des répresseurs (situés dans une tribune à verre blindé), par exemple le sourire de Raúl Guglielminetti, génocidaire et ex garde du corps du président Raúl Alfonsín. Les membres de familles de disparus et une partie du public (dans la même salle que les juges et les accusés, mais séparés par une cloison en verre blindé, montraient des photos de disparus aux répresseurs pendant les deux poses ou agitaient leurs poignées réunis, signal que les répresseurs sont maintenant des détenus.
La maladresse des avocats de la défense a été sinistre, lorsqu’ils ont parlé d’attentat à “l’intégrité des imputés” sous entendu parce qu’ils avaient déjeuné trop vite !!
Un avocat de l’accusation a présenté deux demandes : que les plaignants puissent assister aux séances puisque 33 ans après les faits avec les transformations physiques des répresseurs, l’identification est presque impossible ; que liste soit donnée des visiteurs des accusés pour prévenir un autre cas Héctor Febres [officier de marine qui commençait à dénoncer ses camarades et qui mourut subitement en décembre 2007 en prison dans un bâtiment de la police de la marine].
L’imprécision répétée des juges était fort visible, mais le lendemain ils acceptèrent les deux demandes.
Frank Mintz, 27 novembre 2009.
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